Gestes-Porcelaine⎪Texte critique⎪Marie Pons

Marie Pons à propos du projet Gestes-Porcelaine.
dans Le moindre geste, p.04 de la revue Les démêlées N°1, été 2018.
Un endroit pour s’intéresser à la naissance du mouvement, aux processus de travail en cours, une fenêtre sur la fabrication du geste chorégraphique.

 


 

 


 

David Ayoun – Gestes-Porcelaine

Marie Pons

 

David Ayoun vit à Lille. Il est artiste résident de la Malterie et diplômé de l’école du Fresnoy. Le corps, ses images et ses transformations sont au cœur des installations, films et performances qu’il crée. Gestes- Porcelaine est un travail en cours. 

Parfois à la naissance du geste il y a une matière. Ici une terre à porcelaine blanche, visqueuse et fuyante, une sorte de gelée qui refuse de se mettre en forme et de se plier à la densité que requiert la pratique des céramistes ou des sculpteur.rice.s. Si l’on appelle « réfractaires » celles qui résistent bien à la chaleur de la cuisson, cette terre-là embrasse le terme en ne se laissant pas modeler sous la pression des doigts. Lorsqu’il rencontre cette pâte dans l’atelier d’artistes céramistes [Jean-Louis Raymond et Corinne Geffray] et découvre leur recherche, le plasticien et performeur David Ayoun imagine ce que serait de plonger les mains dedans, pour voir. 

Il coule la matière molle le long d’un bras. Entrée en contact avec la peau, elle l’enveloppe comme un gant mouillé. Enrobé dans son épaisseur il oriente l’articulation de son poignet et de ses doigts, modèle un mouvement qui s’inscrit à même la pâte blanche. Temps de pose. À l’aide d’un souffle d’air chaud, la substance impossible sèche, un volume se crée entre la peau et la mue de porcelaine, formant une caverne habitée par la posture. Le bras s’extrait alors de la grotte par un mouvement de spirale, une torsion qui laisse l’enveloppe blanche comme une coquille abandonnée. Un fantôme de geste reste figé là, cru, translucide, photographié. 

L’enveloppe du geste ressemble chez David Ayoun à un drapé blanc allongé, tout en plis et en creux, ponctué ça et là de bulles d’air emprisonnées qui créent des cicatrices, des déchirures qui éclatent l’aspect lisse de la peau de porcelaine blanche. Dans les essais à venir il envisage d’inclure des engobes et des émaux là où la peau est marquée pour dialoguer avec les imperfections de la texture. 

En découvrant l’objet photographié on se demande ce qui l’a habité. On imagine la séquence chorégraphique qui lui a donné vie : se glisser, articuler, marquer un arrêt, se retirer. C’est un geste de sculpteur baroque en négatif. 

Réminiscence d’un élan vital modelé par la main, d’un goût pour saisir dans les matériaux les plus durs le souvenir d’un corps en mouvement. Mais au lieu de tailler une forme déterminée à même le bloc de marbre blanc, le geste chorégraphique de David Ayoun l’extrait de l’intérieur. Dans le titre Gestes-Porcelaine, l’élan et la matière s’associent pour faire « instantané chorégraphique » à la façon d’Odile Duboc. Une prise sur le vif qui s’attache au mouvement plus qu’à la forme. On voit le geste alors que la chair s’est retirée de l’image, la trace reste comme animée de l’intérieur. Cette série de céramiques en porcelaine brute photographiées travaille un rapport au processus organique du temps qui passe, de la mémoire comme matériau malléable et transforme le geste évanescent en accident pétrifié. 

Les fantômes blancs de Gestes-Porcelaine figent ces contradictions dans l’irrégularité de leurs dessins.

Marie Pons