Spir-⎪David Ayoun⎪2006

Avec cette main – en tant qu’elle regarde -, que lit-on dans les corps ? N’y voit-on pas les mouvements de nos présences (l’absence étant une forme de présence), leurs dialogues? Et quels tracés appellent nos états actuels de corps, eux qui n’ont de devenir que dans leurs origines? Quels tracés nous constituent ou nous transforment, avec cette attention particulière à ne pas étouffer et à laisser la matière bouger, ouvrir des espaces dans les corps à travers des formes de corps jusqu’au souffle.
Ce qui m’intéresse particulièrement, en dehors ou en connivence avec la forme de mon travail, ce sont les rapports entretenus entre l’intérieur et l’extérieur du corps, les lieux de polarité qui nous construisent ( ou nous empêchent) dans la relation, le jeu de nos structures perceptuelles et leurs influences sur notre psychisme ainsi que les lieux de nos mémoires et leurs inscriptions dans le corps. En effet, tout cela, réuni dans un mouvement global et continu, sculpte, dessine, éclaire ce que nous sommes en tant qu’être humain dans la réalité que nous choisissons.
Le bain culturel auquel nous ne pouvons – heureusement – pas échapper et qui construit notre lien identitaire, se croise avec nos expériences personnelles en créant des souvenirs à multiples niveaux. Mon intérêt est justement dans cet entrelacement, cette sédimentation mémorielle où l’inconscient a toute sa place. Aussi, nous sommes un instant notre corps et notre pensée, puis soudain celui d’une mémoire, celle d’un autre peut-être puis celui d’une fiction, et enfin de nouveau nous-même.
Je reconnais que l’ensemble des oeuvres passées s’actualisent en moi à travers ma production afin que je les comprenne mieux, que je comprenne mieux le monde. Cette tension s’équilibre entre ce qui a été, et l’infinité des possibles réalisables – ou non. Qu’elle soit ancienne ou nouvelle, technologique ou organique, la technique s’inscrit dans une histoire. La comprendre me permet aussi d’interroger mon devenir, interroger ce que fait la technique, la technologie à mon corps, interroger la manière avec laquelle elle me façonne, pour ne pas en être aliéné.
La danse élargit mon horizon quant aux potentialités d’action du corps dans l’espace et le temps. Ma sensibilité au mouvement en est affinée et mon regard sur l’histoire de l’art, déplacé. Mon corps s’impose comme le principal outil d’approche, même lorsque j’ai le crayon à la main.
Ainsi donc, le croisement de l’Art Plastique et de la Danse pourrait montrer que le corps est un lieu de tous les possibles puisqu’il désigne dans le même temps tout ce que nous sommes ; c’est ce que transmet aussi et confirme mon étude et ma pratique des arts martiaux comme le Qi Gong, et le Taï-chi ou des danses de transes : leur philosophie, contrairement au rationalisme occidentale, introduit cette idée d’un corps vivant, animé et traversé par le mouvement d’une pensée, d’un esprit, qui formerait « l’être ».
Sans s’embourber dans l’iconographie ou le symbolisme qui enterre dans le religieux, qu’est- ce que serait un art spirituel (”mot dont on ignore vraiment le sens à part que “spir-” désigne le souffle et un mouvement en spirale” Françoise Dolto), sinon simplement un art basé sur l’écoute des souffles, des mouvements et la construction d’une réalité toujours éphémère. Ma démarche, amie de cette notion, se sent néanmoins plus proche d’un archaïsme, en tout cas d’un certain évènement de l’être où l’humour aurait vraiment toute sa place.
David Ayoun